Article: De l'épicerie à l'usine : de Roger Tremblay au Groupe RT international
À Rivière-au-Renard, en Gaspésie, la petite épicerie que Roger Tremblay a acquise en 1949 devient au fil des ans une véritable entreprise agroalimentaire avec la fondation du Groupe RT en 1984.
En 1949, à l’âge de 23 ans seulement, Roger Tremblay achète une petite boucherie dans le village de Rivière-au-Renard. Il y investit toutes ses économies, qui représentent la somme de 1 900 $ chèrement gagnés comme forgeron dans les chantiers de Shelterbay (Port Cartier). De boucherie, son petit commerce devient une épicerie puis, progressivement, une maison de distribution alimentaire sous-régionale, statut qu’elle obtient en 1952. En 1984, M. Tremblay cède ses actifs à un regroupement d’actionnaires qui poursuivent son œuvre. L’expansion de la compagnie sous la raison sociale Groupe RT s’étend presque aussitôt au-delà des frontières régionales et ses activités se diversifient en plusieurs champs. Aujourd’hui, le Groupe mise sur les pêcheries, la distribution, le marché au détail, le transport et la recherche.
Le village de Rivière-au-Renard en 1949
Rivière-au-Renard est un gros village pour la Gaspésie. En 1949, il compte 2 750 personnes qui vivent de la pêche ou des ressources qu’offre la forêt. Mais le secteur agroalimentaire dans lequel se lance le jeune Tremblay est aussi bien représenté; le village possède en effet plusieurs commerces bien établis et au moins une entreprise de distribution dans l’agroalimentaire (marchandises sèches) : la Maison Brochet et Tremblay. La clientèle est sollicitée par deux magasins qui appartiennent à des compagnies jersiaises : l’épicerie de la compagnie Robin, à un bout du village, et le magasin Hyman, à l’autre bout. On compte aussi la Coop, qui, à l’opposé, regroupe des intérêts locaux, et quatre ou cinq petits épiciers dans tout le village.
À côté de ces fournisseurs locaux, des unités de production alimentaire tirent leurs profits de la mise en valeur des richesses halieutiques. Le village de Rivière-au-Renard est en ce domaine à l’avant-plan de la recherche. Ainsi, le Syndicat des Pêcheurs-Unis, qui maintient une ligne de production de morue salée et séchée, bénéficie pour ce faire d’un « séchoir à morue mécanique » inauguré en 1948. Grâce à des réfrigérateurs, une nouveauté dans l’alimentation, il peut aussi se préoccuper de la mise en marché de produits divers et nouveaux, tels que les filets de morue frais ou congelés ou les filets fumés. L’entreprise montréalaise Les Produits marins gaspésiens, installée dans le village à la veille de la Seconde Guerre mondiale, expérimente elle aussi de nouveaux produits commerciaux. Ses chimistes ont en effet mis au point une technique d’extraction de l’huile de foie de morue qu’elle entend substituer à la production norvégienne, dominante sur le marché canadien; ils ont aussi obtenu une farine alimentaire pour les animaux, qu’ils produisent à partir de résidus de poisson. La mise en conserve des foies de morue et de la morue fraîche constitue une autre facette de sa recherche.
La présence de ces producteurs alimentaires constitue une ressource intéressante pour Roger Tremblay : en remplissant ses camions de poissons ou de leurs dérivés lorsque ses chauffeurs se rendent à Montréal y chercher viande, fruits ou légumes, il évite les voyages inutiles et finance ainsi les déplacements de sa flotte.
La Compagnie Roger Tremblay
Pour un jeune marchand comme Roger Tremblay, la situation économique du village est encourageante. Les progrès enregistrés dans les transports assurent la régularité des approvisionnements à de meilleurs coûts, et les nouvelles technologies implantées chez les Pêcheurs-Unis assurent une plus grande productivité ainsi que de meilleures perspectives d’emplois. Ces changements jouent autant en sa faveur qu’en celle de sa clientèle : l’assurance d’un travail, des salaires plus élevés, ajoutés à l’apparition des allocations familiales, favorisent l’ensemble de la population gaspésienne, qui voit sa qualité de vie assurée. Le marchand, quant à lui, finance plus facilement ses opérations.
Au début de son commerce de viande, Roger Tremblay tient boutique lui-même. Son frère Henri l’assiste ensuite dans la gestion du commerce pendant qu’il suit une formation de boucher, sa sœur Jeanne s’occupe de la caisse puis de l’administration quotidienne et son épouse, Claire Plourde, s’implique dans la vie de la boutique en servant la clientèle au comptoir, en déchargeant les marchandises et en conduisant même, au besoin, les camions. Elle s’occupe de la famille, qui se forme rapidement. En 1950, Tremblay ajoute à ses actifs un camion pour la livraison, puis un autre. Les employés occasionnels, souvent des voisins immédiats, deviennent permanents. En 1952, la Compagnie Tremblay élargit ses opérations au commerce des fruits et légumes pour pallier des difficultés d’approvisionnement. Elle va chercher ses stocks à Cap-Chat, puis à Mont-Joli et bientôt à Montréal. L’élargissement de ses opérations l’oblige à se doter, à partir de 1963, d’un entrepôt, d’un réfrigérateur ainsi que d’un garage pour la réparation de la machinerie.
Au début, Roger Tremblay fournit les épiceries de Rivière-au-Renard, puis celles du territoire jusqu’à Grande-Vallée. En 1965, sa clientèle s’étend jusqu’à Gaspé, Douglastown et Percé. L’entreprise familiale est devenue pratiquement régionale, et emploie, dans les années 1970, jusqu’à 27 personnes.
Le Groupe RT
En 1984, Renaud Samuel, un enfant de Rivière-au-Renard qui a grandi à côté de cette entreprise, rassemble 23 de ses employés autour d’une table et présente une offre d’achat à Roger Tremblay et à son frère Henri. L’offre est acceptée. Les nouveaux propriétaires décident alors de diversifier encore les opérations et la compagnie choisit de miser avant tout sur les pêcheries en créant les Pêcheries Marinard, spécialisées dans la capture et la transformation de la crevette. Les Pêcheries Marinard produisent plus de 10 millions de livres de crevettes par année, achètent la production de 20 crevettiers pour l’usine de Rivière-au-Renard et assurent la transformation du crabe des neiges à la Tabatière.
Le groupe ne cesse de se développer : Distribution alimentaire RT et Roger Tremblay ltée s’occupent de la distribution alimentaire; le marché au détail est assuré par plusieurs épiceries regroupées sous l’entité commerciale Marché Griffon; une revue mensuelle, Le Gourmet, informe les clients des « spéciaux » offerts en magasin; le groupe transport, qui compte désormais une quarantaine de véhicules, est connu sous la raison sociale Transport Roger-Tremblay RT; enfin, le Groupe RT international assure la mise en marché à travers le monde de ses produits de la pêche commerciale.
En 1996, Les Pêcheries Marinard, par le biais de la filiale Marinard Biotech, se lancent dans la recherche pour produire à partir des résidus de crevettes de la chitine et de la chitosane, utilisées dans l’industrie pharmaceutique. Elles créent alors 12 emplois et investissent plus de 2,5 millions de dollars dans le projet. Dans la poursuite de son développement, elles ajoutent à leurs activités, en 2000, la mytiliculture (moules), la mariculture (truite mouchetée) et bientôt l’ostréiculture (huîtres).
À la faveur de ces développements, le Groupe RT a encore étendu son champ d’action. Son territoire couvre désormais une bonne partie du Bas-Saint-Laurent, de la Gaspésie et du Nord-Est du Nouveau-Brunswick. Il s’étend jusqu’à la Tabatière sur la Basse-Côte-Nord et procure du travail à plus de 800 personnes.
Aujourd’hui, le Groupe RT mise sur les pêcheries, la distribution, le marché au détail, le transport et la recherche, et assure à travers le monde toutes les étapes de la mise en marché de ses produits de la pêche commerciale. De petite entreprise familiale à compagnie internationale, le Groupe RT est resté fidèle à cette épigraphe inscrite dans le programme du cinquantième anniversaire de la compagnie, qui résume aussi bien l’histoire d’une entreprise que l’esprit qui anime ses directeurs et son personnel: « Né d’un besoin, le Groupe RT a évolué grâce à la vision des gens qui l’ont créé, de ceux qui y ont cru et de tous ceux qui continuent d’y croire. Il est agréable de récolter ce que d’autres ont semé, mais bien plus encore de semer afin d’en récolter le fruit et de préparer le terrain pour ceux qui viendront. »
Mario Mimeault, MA Histoire
Chercheur indépendant
Gaspé, le 13 août 2002
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Causerie radiophonique, Sainte-Anne-de-la-Pocatière, Fortin et Fils,
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